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A quatre mains
6 janvier 2013

Les Enfants dans la Shoah

enfants du paradisIl y a quelques jours s'est achevée au Mémorial de la Shoah une exposition intitulée "Les Enfants dans la Shoah".

Très riche, elle donnait à voir, à lire toutes sortes de documents rendant compte de la vie de ces enfants, exterminés du seul fait de leur identité juive.

La première salle, ayant pour thème l'avant-guerre, et les premières années de guerre, offre un spectacle étonnamment rassurant, rétrospectivement. Certes, ces enfants se cachent, subissent privations et humiliations, mais ce qui frappe, c'est la volonté malgré tout de continuer à vivre, par le jeu, par la culture, cette culture juive que les adultes espèrent préserver à travers eux, en transmettant coûte que coûte. L'écrit, donc, et les jeux, même au plus fort des concentrations de population dans les ghettos, des déportations, comme en témoigne cet ours, trouvé à Terezin* :

 

IMG_0853

 

Voici ce que dit le cartel : "Danielle Kasinsky, déportée en octobre 1943 à l'âge de six mois, est la plus jeune des 470 déportés [de Terezin] en provenance du Danemark. Lorsqu'au printemps 1944 les Danois commencent à recevoir des colis de nourriture, ils ont la possibilité de faire du troc; l'ourson en peluche est alors échangé contre de la nourriture. Sur sa patte droite, l'ourson porte le numéro du convoi danois XXV/3."

Lorsque je repense au pitoyable plan de La Rafle sur un ours en peluche abandonné pour faire pleurer dans les chaumières, je reste autrement plus saisie par cet objet, posé là derrière sa vitrine, plein de chagrin et de colère.

Les textes qui accompagnent ces photos, ces objets, sont majoritairement des dessins, des textes d'enfants, écrits dans les ghettos notamment. Ce qui frappe avant tout, c'est la maturité extraordinaire de ces enfants, la pertinence avec laquelle ils parlent de ce qu'ils vivent, l'absence de haine, l'incompréhension, la nécessité de protéger leurs petits frères, ou petites soeurs, d'apprendre malgré tout, de se rendre à l'école, ou ce qui en tient lieu, d'avoir des nouvelles de leurs parents, de trouver à manger... Ces textes sont si graves, pour des enfants de 7, 8, 11 ans qu'ils en sont déchirants. Sans aucun doute, ils sortent de l'enfance, définitivement, par un arrachement violent, et elle ne leur sera jamais rendue.

 

Difficile d'imaginer une transition pour parler de la seconde salle. On y accède par un couloir présentant des photos d'enfants, avant, et pendant les rafles, les déportations, l'extermination. La seconde salle, consacrée à l'extermination directe des enfants, est terriblement éprouvante, comme on peut s'en douter. Et j'y ai lu, enfin, la réponse exacte, historique, que j'aurais voulu pouvoir apporter à l'époque à mon professeur d'histoire en classe préparatoire qui, nous parlant de la rafle du Vel d'hiv, nous expliquait qu'il ne voyait qu'une réponse à la question "Mais pourquoi avoir déporté les enfants avec leurs parents, pourquoi ne pas les avoir écartés, protégés massivement?" Selon lui, par humanité, pour ne pas les séparer de leurs parents... Hmm... Beaucoup plus cyniques sans doute, nous avions été plusieurs à réagir, à lui objecter que c'était sans doute beaucoup moins humaniste que ça, et qu'il s'agissait sans doute plutôt de ne pas s'encombrer de nombreuses bouches enfantines et orphelines, en temps de guerre, alors que personne, sans doute, ne viendrait réclamer ces enfants. Or là, j'ai pu lire cette déclaration faite par Heinrich Himmler dans un discours prononcé à Posen en octobre 1943 : "Je ne me sentais en effet pas le droit d’exterminer les hommes […] et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos enfants et nos descendants. Il a fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre."

C'est cette même logique qui fait écrire à un soldat, dans une lettre à sa femme, combien ses mains tremblaient lors des premières salves de mitraillette dirigées contre les femmes et les enfants à peine descendus des wagons, mais aussi combien il s'était rapidement habitué à ette tâche, et combien, au bout du treizième ou du quinzième combat, il était désormais convaincu de la bonne oeuvre qu'il accomplissait, lui, père de deux tout petits enfants, à peu près du même âge que ceux qui disparaissaient sous ses coups.

Curieusement, heureusement, le seul souvenir véritable qui me reste de cette salle, que j'ai voulu garder de cette salle, est littéraire, poétique. Car de ces ruines et de ces cendres restent de nombreux textes et poèmes qui disent l'essentiel, le besoin de survivre, de laisser une trace malgré l'horreur, tels ces poèmes d'Uri Orlev, (Poèmes écrits à Bergen-Belsen en 1944 en sa treizième année), que vous trouverez publiés aux éditions de l'Eclat. Un aperçu de ces très beaux textes se trouve sur le site Terres de femmes, en suivant ce lien http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2011/11/uri-orlev-poèmes-écrits-à-bergen-belsen-en-1944-en-sa-treizième-année.html 

N'ayant pas ces textes sous la main, je reproduis ici un autre poème, gentiment transmis par quelqu'un qui a beaucoup travaillé sur la question, et dont vous pourrez lire certains textes ici => http://aquariumvert.wordpress.com/ 

Ce poème, donc, est écrit par Hanuš Hachenburg, âgé de treize ans lorsqu'il est déporté à Terezin, avant d'être exterminé à Auschwitz dans la première moitié de l'année 1944.

 

« Terezín

Un peu de saleté cernée dans la lèpre des murs
avec un peu de barbelés autour.
30 000 sont là dormant
qui un jour s'éveilleront
et ce jour-là verront la mare de leur sang.

Je fus jadis un enfant,
voilà tantôt trois ans.
Ma candeur rêvait d'autres mondes.
Elle est passée, l'enfance.
J'ai vu les flammes,
je suis mûr à présent
et j'ai connu la peur,
les mots sanglants, les jours assassinés :
où sont les croquemitaines d'antan ?...

Mais je crois, moi, qu'aujourd'hui est un songe,
qu'avec mon enfance je reviendrai là-bas.
Enfance, fleur d'églantier,
cloche bourdonnant du fond des rêves,
mère couvrant son petit souffreteux
de l'amour le plus fort, ivre de sa féminité.
Jeunesse affreuse qui guette
l'ennemi, la corde.
Enfance affreuse qui dans son for intime
se dira : un tel est bon, mais cet autre est méchant.

Douce enfance lointaine qui doucement repose
dans ces petites allées d'un parc
et là, sur cette maison, quelque part se penche
quand pour moi restait seul le mépris,
là-bas dans les jardins et dans les fleurs
où du sein maternel, je suis né au monde
pour pleurer...

La bougie brûle et je dors sur ma couche,
pour comprendre plus tard peut-être
que je n'étais qu'un tout-petit,
juste aussi petit que le choeur
des 30 000 dont la vie dort,
là-bas dans les parcs se réveillera,
ouvrira un beau jour ses yeux
et, parce qu'elle en verra trop,
dans le sommeil replongera... »

 

Pourquoi clôre, puisque ces mots existent ?

 

* "la Croix Rouge avait obtenu l’autorisation de visiter le camp de Theresienstadt (Terezin) en Bohême. C’est à la suite de l’arrivée dans ce camp de Juifs du Danemark le 5 octobre 1943 que la Croix Rouge de ce pays et l’antenne suédoise s’inquiétèrent du sort de ces personnes déportées. Les Nazis décidèrent donc d’accéder à leur demande de visite sans toutefois leur offrir à voir la réalité. En effet, sous la direction du commandant du camp, le colonel SS Karl Rahm, un embellissement fut décidé et plus de 7500 Juifs furent déportés afin de cacher la surpopulation, dont des centaines d’orphelins et malades que la Croix Rouge ne devait pas voir. 

Ainsi, le jour de la visite, neuf mois après la première demande, le 23 juin 1944, les Nazis étaient fin prêts et les délégués de la Croix Rouge purent apprécier le travail des boulangers, les étalages de légumes frais ou encore les joyeux travailleurs. Un spectacle fut même offert à la délégation. Cette dernière fit donc un rapport qui provoqua les protestations des organisations juives. Dans les semaines qui suivirent, les détenus de Theresienstatdt furent déportés en famille et assassinés à Auschwitz-Birkenau."

Source : http://www.memorialdelashoah.org/b_content/getContentFromNumLinkAction.do?type=1&itemId=158 

Par ailleurs, vous retrouverez de nombreux documents vidéos ou textuels sur le site consacré à l'exposition : http://enfants-shoah.memorialdelashoah.org/home.html

 

 

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