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A quatre mains
9 mai 2013

L'Art Nouveau à la Pinacothèque

 

enfants du paradis

La Pinacothèque propose actuellement, et jusqu'au début du mois de septembre, une exposition sur "l'Art Nouveau - La Révolution décorative" (couplée avec une autre exposition des oeuvres de Tamara de Lempicka, mais que je n'ai pas vue car j'avoue que ses toiles ne m'emballent pas du tout).

Assez riche, le parcours propose un certain nombre d'objets, d'affiches, de sculptures, de meubles relevant de ce style "Art Nouveau", et c'est finalement par la diversité des supports que l'on voyage dans cette exposition. Car si les sources du mouvement se trouvent théorisées dès la fin du XVIIIème siècle*, et au fil du XIXème, c'est surtout sur une quinzaine d'années, entre 1890 et 1905, que se situe l'âge d'or de l'Art Nouveau. Pourtant, ces meubles, ces bijoux, ces affiches marquent notre imaginaire et j'ai aimé remonter le temps aux côtés de ces élégantes, représentées un peu partout.

Issue du mouvement romantique, la théorie de l'Art total, Gesamtkunstwerk, part du principe que l'art serait partout, dans chaque élément qui compose la vie. L'Art total se construirait donc en opposition à deux tendances : celle du classicisme, d'une part, et celle de l'industrialisation qui transforme le monde d'autre part. Ce mouvement rencontre un succès international avec le développement de Tiffany aux Etats-Unis, le Jugenstil en Allemagne, Sezessionist en Autriche, Modernismo en Espagne... Le terme "Art Nouveau" s'impose en Angleterre, puis en France, et se manifeste concrètement par la construction de l'hôtel Tassel à Bruxelles en 1893 (il y aurait trop de photos à mettre de cet hôtel pour vous donner une idée de sa beauté, je vous conseille d'aller faire un tour sur google images, vous devriez aimer! Et pour une belle visite dans le quartier art nouveau d'Ixelles, c'est [http://fortetetesurtalonshauts.blogspot.fr/2012/08/bruxelles-ixelles-un-paradis.html par ici]), puis par le nom donné à la galerie de Siegfried Bing (déjà rencontré dans l'article sur Van Gogh) : Maison de l'Art nouveau.

448px-Art_nouveau_publicité_galerie_Samuel_Bing_Paris_1895

Affiche publicitaire pour la galerie de Samuel Bing, 1895.

 

En s'opposant au classicisme, l'Art Nouveau prétend rendre toute sa liberté à l'artiste : pas de convenances, de codes, mais une volonté de transgression qui s'ouvrirait à tous les supports, sans se prendre au sérieux. Cette transformation esthétique s'offre au quotidien de la vie et s'illustre dans les rues (on pense bien sûr aux stations de métro de Guimard), les intérieurs, les bijoux, les revues... quitte à ce que le succès rencontré par le mouvement dépasse ses premiers expérimentateurs. 

Un tel succès ne va pas sans détracteurs, qui rebaptisent rapidement le mouvement "style nouille", ou "style ténia", dénigrant son aspect purement ornemental. Il condense les critiques, venant aussi bien des marxistes que des réactionnaires ou des nationalistes, qui y mêlent des remarques antisémites. Le genre perdra de son aura et de sa sophistication lors de la Première Guerre mondiale, pour évoluer vers l'Art Déco. C'est Dali qui, dans les années 1930, remettra l'Art Nouveau à l'honneur dans un article intitulé "De la beauté terrifiante et comestible de l'architecture modern'style", lequel paraît dans la revue surréaliste Minotaure.

Les grands noms de l'Art Nouveau se retrouvent dans le parcours de l'exposition : Grasset, Mucha, Lalique, Hawkins, Guimard, Gallé, Van de Velde, Horta, Steinlein...

 

De la nature...

Les artistes de l'Art Nouveau s'inspirent de la nature. Cette perspective n'est certes pas nouvelle, avec la volonté de sortir des ateliers pour rendre la nature elle-même chez les Impressionnistes. Ce qui est nouveau, c'est le souci d'utiliser les procédés eux-mêmes de la nature, de s'inspirer de ses motifs, de ses formes, de ses principes, au point de recourir à des revues scientifiques, des microscopes... Il ne faut pas oublier que peu de temps auparavant, Darwin a publié L'Origine des espèces, ce qui a réévalué la place de l'homme au sein de la nature. Cette perspective évolutive s'accompagne désormais d'une logique de progrès qui n'est pas étrangère au succès de l'Art Nouveau. Chez certains artistes à l'inverse, le rapport à la nature se fait beaucoup plus direct, et tend vers un certain mysticisme.

Cette inspiration de la nature se retrouve ainsi dans cette table d'Eugène Gallé, appelée "Table Libellule" :

Table Libellules, Emile Gallé, Ecole de Nancy

 

Ou encore dans ces vases aux motifs animaliers et floraux :

vase méplat Eugène Rousseau

Vase méplat sur talon, de François-Eugène Rousseau, verre

 

vase

Vase des Frères Daum, Hawthorn in blossom, 1905


Afin de mettre en valeur ces motifs, les matières utilisées sont le bois, mais aussi et surtout le verre, qui permet de rendre la transparence de l'eau, de l'air, des ailes d'insectes... Etiré, soufflé, transformé, il reproduit à merveille les formes des tiges des plantes, des pétales, des feuilles...

Les bijoux, trop peu nombreux à mon goût, reprennent aussi cette inspiration naturelle : papillons, libellules, ils ornent et représentent en taille réelle les insectes les plus colorés, mélangeant les formes et les matières (ce qui rejoint également l'idée d'Art Nouveau comme art total : verrerie, joaillerie, cristallerie sont convoqués). En voici quelques exemples, de René Lalique. Ils ne se trouvaient pas à l'exposition, et l'on ne pouvait pas y prendre de photos, mais ces bijoux-ci (pectoral, broches...) rendent tout autant compte de ce que j'évoquais plus haut :

800px-Cigales_Lalique_Musée_Gulbenkian

bijou lalique

femme libellule

Lalique broche femme papillon

 

... A un érotisme mystérieux

On le voit sur ces bijoux, les silhouettes prennent souvent une forme résolument féminine, sensuelle, parfois dénudée, que l'on retrouve sur maintes affiches et statues, tel ce "Secret" de Maurice Bouval, représentant une sorte de prêtresse :

Le secret Maurice bouval, bronze, mase en marbre, 1900

Le Secret, bronze patiné sur socle de marbre, 1900

 

Ou encore cette Judith d'Emmanuel Villanis (1900)

judith-1900c-emmanuel-villanis-1

 

Jusqu'au thème chrétien d'Adam et Eve, dans cette Etreinte de Louis-Auguste Théodore-Rivière (la perspective de la photo ne donne malheureusement pas de l'oeuvre la même impression que celle qu'elle a produite sur moi lorsque je l'ai observée. Ici l'image est plutôt celle de la crainte et de l'abattement, elle relevait plus du défi selon moi) :

theodore-riviere-eve-et-adam-n-3474759-0

Adam et Eve, ou Etreinte, ou Paradis perdu, bronze à patine verte, 1903

 

Encore plus marquantes dans les représentations picturales, ces femmes antiques ou contemporaines semblent libres, parfois aguicheuses, cigarette à la main, regardant le spectateur d'un sourire mystérieux et sensuel, comme dans cette oeuvre d'Edgar Maxence :

Edgar Maxence La Fumeuse

La Fumeuse

 

Ou encore dans le célèbre Voile de Louis Welden Hawkins :

Louis-Welden-HawkinsUn-voile

 

Motif récurrent, le voile souligne et masque à la fois, pour mieux laisser deviner les courbes qu'il cache, et que les arabesques des éléments naturels rappellent encore. La femme y est menaçante ou lascive, prêtresse, sorcière, ou nymphe endormie. Les frontières avec le rêve et le mysticisme ne semblent jamais loin, l'image se faisant vision. Il n'est pas étonnant alors de penser que les Symbolistes ou même les Nabis furent proches de l'esthétique de l'Art Nouveau. Cette illustration du poème de Charles Cros ("Bois frissonnants") par Georges Auriol en est un exemple (oui, Charles Cros est plus parnassien que symboliste, mais ne finassons pas, ils buvaient dans les mêmes cabarets parisiens) :

Bois frissonnants Charles Cros Georges Auriol

 

Bien que cela ne soit pas évoqué lors de l'exposition, il me semble que l'on peut aussi parfois rapprocher les Pré-raphaëlites et les artistes de l'Art Nouveau dans les sources (Salomé, Judith) et dans les représentations (des femmes-sorcières à la chevelure rousse, une nature exubérante et très présente...) :

Paul_Berthon-LesChrysanthemes-1899 www

Les Chrysanthèmes, Paul Berthon, lithographie, 1899

 

feure_de_georges-retour~1897 lithographie

Retour, Georges de Feure, lithographie, 1897

 

Georges de Feure, Art nouveau design of a woman examining a flower

Femme examinant une fleur, Georges de Feure, lithographie

 

Sans titre

La Violoncelliste, Eugène Grasset, 1898

 

On retrouve encore ces femmes étranges, lascives ou inspirées dans toutes sortes d'objets du quotidien : lampes, encriers, buvards... Tout semble support au rêve et à la sensualité. Ces figures féminines s'incarnèrent pourtant également dans des femmes bien réelles, qui marquèrent elles aussi leur époque : Sarah Bernhardt, bien sûr, muse de nombreux artistes et pour laquelle Alfons Mucha réalisa beaucoup d'affiches de théâtre ou d'hommage, comme celles-ci :

Mucha 1896 En l'honneur de sarah bernhardt

 

amélias

 

La Belle Otero ou Loïe Fuller seront encore des modèles inspirants pour les créateurs de l'Art Nouveau, fascinés par les arabesques de la célèbre "danse serpentine" de l'américaine notamment. 

 

 

On retrouve ce mouvement et ces arabesques du corps et du vêtement suggérés dans cette scultpure en bronze de Bernard Hoetger (Loïe Fuller, 1901). Je ne sais pas vous, mais je l'aime beaucoup... On y retrouve la beauté des danseuses de Degas, et la grâce de celles de Rodin.

Loie fuller Hoetger

 

L'Art nouveau prend donc son essor au tournant du siècle, avec un succès particulier en France grâce à l'Ecole de Nancy, au relais d'artistes comme Sarah Bernhardt ou Loïe Fuller et à son inscription concrète dans l'espace urbain. Ce mouvement, populaire, investit les galeries, la publicité, les affiches, les revues et, comme genre à la mode, s'impose aux côtés d'autres styles architecturaux et esthétiques lors de l'exposition universelle de 1900 (cinquante millions de visiteurs !). Symbole de cette prise de l'Art Nouveau sur son temps, il bénéficie de tous les moyens de la modernité pour se diffuser et renforce la reconnaissance internationale dont il jouissait déjà. Les affiches de publicité sont d'ailleurs généralement restées davantage dans notre mémoire que bien des sculptures ou tableaux de cette époque, notamment celles du Salon des Cent** :

280px-Exposition_Eugène_Grasset_au_Salon_des_Cent

Affiche de l'exposition E. Grasset faite par lui-même, 1894

 

Salon des cents paul berthon

Affiche de 1895 réalisée par Paul Berthon

 

Salon des cents Mucha 3

Affiche de 1896 réalisée par Mucha

 

Salon des cents Mucha 2

Affiche de l'exposition Mucha réalisée par lui-même, 1897

 

Difficile de faire un choix parmi toutes ces oeuvres, tant le nombre d'objets, peintures, affiches, sculptures est foisonnant ! Je ne peux que vous inciter à aller vous-même contempler tout cela... et le net est une mine pour en prolonger la découverte. 

A noter : les lampes présentées en début de parcours sont allumées entre 16h et 18h. Je n'ai pas pu y être, mais vu la richesse des couleurs, ce doit être magnifique !

 

 


* D'après les panneaux de l'exposition, mais je trouve cela discutable. Certes, il y a sans doute à la fin du XVIIIème siècle la volonté de faire émerger un art nouveau mais... n'est-ce pas ainsi qu'a évolué toute l'histoire de l'art ? Par la volonté de présenter, d'inventer quelque chose de nouveau, même si les inspirations remontaient par exemple à l'antique ? Est-ce vraiment là une spécificité de l'Art Nouveau qui mériterait de faire remonter à la fin du XVIIIème les origines du mouvement ? Je ne suis pas spécialiste, alors c'est une simple interrogation.

** Le Salon des Cent, créé par Léon Deschamps en février 1894, se proposait d'exposer des artistes de tous horizons sans préoccupation de récompense ou d'école. Appelé de la sorte parce que cent personnes avaient souscrit à sa création, il se perpétua jusqu'en 1900 et proposa une cinquantaine d'éditions, consacrées à des expositions collectives ou individuelles. S'y trouvèrent exposés Mucha, Grasset, Toulouse-Lautrec, Degas, Bonnard, Matisse, Lalique, Moreau...

 

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Commentaires
M
Vraiment, Iliana, tu es un guide exceptionnel pour ceux qui ratent les expositions ! C'est toujours bien écrit, complet, éclairant, nourri, structuré... J'en connais qui va réussir ce-qu'on-sait les doigts dans le nez :-) ! Et merci pour le lien. <br /> <br /> Et je ne sais pas si tu vas de temps en temps sur le blog de Pandora, mais il y a régulièrement des post en lien avec l'art nouveau. <br /> <br /> Quand on aime la nature, on a tendance à aimer l'art nouveau, donc... dans la maison familiale, on en a quelques objets authentiques. J'hésite à les mettre sur le blog (confidentialité), mais un de ces jours tu viendras les voir en direct !
I
Je suis contente que ça ait pu être une découverte, ça l'a été pour moi aussi, et c'est chouette de partager ! Oui, Cél, le bronze d'Adam et Ève est très beau...<br /> <br /> Aline, je t'envie d'avoir été à Prague (et d'autres d'avoir été à Bruxelles !), na !<br /> <br /> C'est sûr que la réception a parfois été violente, mais aujourd'hui, je pense que personne ne voudrait voir disparaître les quelques lieux urbains Art nouveau qui restent !
C
Quel magnifique article! Il fait terriblement regretter de ne pas pouvoir se rendre à la Pinacothèque! Tant de belles choses donnent à rêver. J'aime particulièrement le bronze Adam et Eve...En vrai, ce doit être une splendeur! Tu as changé mon regard sur l'Art Nouveau, merci mille fois, et surtout, tu donnes envie d'en savoir plus!
M
Très beau post, raffiné à la mesure d"un sujet peu connu...je ne connaissais pas les bijoux, ils sont sublimes!
A
ah, Ili, je te hais, je t'envie...<br /> <br /> J'aime tellement la douceur des courbes, le romantisme finalement, de ces compositions florales ... Se promener à Prague a été pour moi un véritable bonheur pour les yeux, et le musée Mucha ... Je n'ai pas de tableaux chez moi, mais 2 affiches de Mucha et 2 reproductions sur métal ... J'aime j'aime j'aime.<br /> <br /> C'est rigolo, non, de se rendre compte de ce qui a été fustigé à l'époque (je ne pense pas seulement à l'art nouveau, mais aussi aux impressionnistes, mis à mal par les critiques), soit aujourd'hui des mouvements artistiques des plus populaires ?
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