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A quatre mains
9 juin 2014

Only lovers left alive, de Jim Jarmusch

enfants du paradis     Il y a des choses que j'ai parfois tellement aimées que je pense aussitôt à venir l'écrire ici. Et justement parce que je les aime tellement, je n'arrive pas à me décider à en parler, de peur de ne pas rendre assez fortement ce que j'ai ressenti à leur sujet. C'est exactement le cas du film de Jim Jarmusch, Only lovers left alive.

     Depuis bien longtemps j'adore les vampires, et tout ce qui y touche. Mais justement, je n'ai jamais trouvé aucun film, aucune série qui puisse rendre hommage à un si étrange personnage. Je passe sur Buffy et ses masques horribles, le Dracula de Coppola un peu kitsch, Le Bal des vampires volontairement comique de Polanski, les magnifiques Nosferatu et Vampyr de Murnau et Dreyer, mais qui adoptent un point de vue résolument humain, qu'il soit attiré par l'aspect séduisant ou monstrueux de la créature, les adaptations d'Anne Rice Entretien avec un vampire ou La Reine des damnés qui ne font pas oublier une seconde les acteurs hollywoodiens... bref, il manquait toujours quelque chose pour rendre la poésie, la densité, les potentialités du personnage. Alors quand j'ai vu que Jim Jarmusch faisait un film sur un couple de vampires, je me suis dit qu'il y avait tout pour que ce soit une réussite, et de fait, je n'ai pas été déçue... 

     Only lovers left alive raconte l'histoire de deux amants, Adam (Tom Hiddleston) et Eve (Tilda Swinton), vivant l'un à Détroit, l'autre à Tanger. Ces deux vampires se retrouvent au gré des années et s'aiment à distance, dans des déambulations nocturnes lentes et magiques. Un jour, Eve rejoint Adam, qui se lasse de cette éternité si désespérante, quand l'humanité, elle, ne sait pas se saisir des avantages de l'histoire, des progrès scientifiques... L'arrivée de la soeur d'Eve, jouée par Mia Wasikowska, jeune écervelée représentante d'une nouvelle génération sans profondeur et sans patience, vient perturber cet équilibre instauré depuis des dizaines d'années. 

     La musique joue un rôle essentiel dans l'hypnotisme de nombreuses scènes, cette musique jouée par le groupe de Jim Jarmusch lui-même, mais qui reprend aussi des classiques du rock ou du blues ayant traversé le vingtième siècle. Car Adam est un grand musicien, qui a côtoyé les plus grands compositeurs, les plus grands écrivains - Christopher Marlowe fait quelques détours parmi nous - et qui aime par-dessus tout les guitares. C'est peut-être ce que j'ai trouvé de plus beau dans le film. Jim Jarmusch explique avoir voulu reprendre les codes du film de vampire pour en faire sa propre histoire et en traduire sa vision. Les attendues craintes de la lumière, invitations à entrer, visions exceptionnelles, besoins de sang contrôlés sont suggérées à diverses occasions, mais il insiste plus particulièrement sur la beauté des choses. On admirera tout autant une Supro blanche de 1959 que la perfection d'un système électrique amélioré ou la poussée inattendue d'un champignon (vénéneux, évidemment) hors saison... Le regard admire les beaux tissus, les beaux corps, mais plus encore la beauté d'un alphabet, d'une couverture en cuir ou du bois d'un instrument de deux cents ans. Les deux amants sont devenus les témoins collectionneurs du génie humain, tandis que les hommes semblent s'en effrayer misérablement. A ce titre, les déambulations dans un Détroit à l'abandon sont tout aussi poétiques et fascinantes. L'esthétique de la ruine est pesante et mélancolique, et elle s'insinue jusque dans les usines désaffectées, les rues désertes ou les maisons abandonnées.

 

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     Mais si je ne devais retenir qu'une scène, ce serait celle où Eve s'empresse lentement (oui, c'est possible) de faire ses bagages pour rejoindre Adam. Pour remplir ses valises, nul besoin de change ou de produits variés, seulement de livres. De toutes les époques, de tous les alphabets, de toutes les tailles. Comme si l'éternité donnait la distance tant recherchée pour ne privilégier que les plus belles choses de ce monde. Elle quitte donc la chaleur de son nid de Tanger, fait d'une accumulation d'étoffes et de voiles, de moucharabieh et de livres, pour le joyeux bordel sombre et technologique de la demeure d'Adam. 

 

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     Mais à travers eux, c'est aussi de lui-même que Jim Jarmusch nous parle. De son séjour à l'adolescence dans la ville mythique de Détroit, aujourd'hui dévastée par la crise américaine, de son environnement artistique et de son amour pour la musique (à ce propos, un excellent article sur la place de la musique dans les films de Jarmusch par ici => http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/02/14/la-musique-envoutante-des-films-de-jim-jarmusch_4366481_3246.html ), ainsi que de son regard désabusé sur des sociétés de production qui ne permettent plus de maîtriser toutes les étapes de la création d'un film.

 

      Je ne résiste pas au plaisir de remettre ici deux pistes magnifiques du film, qui vous plongeront aussitôt dans la lenteur envoûtante et mélancolique de l'histoire d'Adam et Eve...

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
M
Quel magnifique article, et comme tu décris bien ce qui rend ce film exceptionnellement beau, son âme ! Je ne connaissais pas vraiment Jarmusch avant, et cela donne envie d'explorer son univers. <br /> <br /> <br /> <br /> M'avait manqué, ce blog :-))
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