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A quatre mains
24 avril 2011

Clichés

P10

Mes photos gardent des secrets qui finissent par m’échapper.

 

A la recherche d’une sélection de photos de vous trois, j’ai initié une consultation assidue de mes nombreuses photos. Je ne sais pas à quoi elles sont censées me servir. Lorsque je les fais, je cherche juste à  produire quelque chose de joli. Quelques-unes sont d’ailleurs de ce point de vue assez réussies.

 

Aujourd’hui, photos récentes ou plus anciennes, elles m’envoient des messages. Certains sont visibles sur les clichés, d’autres ne les sont pas.

 

Je vois à quel point vous êtes beaux. Je vois vos joies, vos sourires, vos regards. La grâce des fleurs du printemps. Je pense que l’on peut voir aussi, d’une certaine façon, ma tendresse à votre égard.

 

Je vois cette photo où, tous deux souriants, ton papa et ton frère à l’âge d’un an et demi, jouent dans la neige. Ils sont beaux et gais. Mais je ne vois pas que, ce jour-là ton papa et moi nous étions disputés. La photo garde ce secret, et me le livre, à moi seule, lorsque je la regarde.

 

Je vois cette photo où, un jour de chaleur, ton frère aîné court vers moi dans le jardin. Il a un peu plus d’un an, il marche depuis peu, et cette nouvelle liberté de courir dans l’herbe sous le soleil le ravit. Un moment manifestement magique. Mais je ne vois pas qu’il s’agissait d’un jour où j’étais allée le chercher à la crèche de bonne heure de façon complètement exceptionnelle. Je ne vois pas tous les soirs où je rentrais avec l’espoir de le voir,  tandis qu’il était déjà endormi, et ayant raté une soirée de plus avec lui. La déception. Un autre secret bien gardé.

 

Les photos de l’été qui ont précédé ma reprise du travail lorsque tu avais 6 mois ne montrent pas mes craintes et ma tristesse de te laisser chez la nourrice. Les pincements au cœur ne se voient pas.

 

En fait, mes photos mentent par omission. Elles savent révéler la magie d’un moment, et surtout votre charme. Des choses essentielles.

 

Mais elles ne sont que des cartes postales. Elles ne montrent qu’une face de la vraie vie. L’autre partie, invisible, secrète, peut être retrouvée grâce à la mémoire et à la reconstitution.

 

Mes photos font disparaître la continuité du temps, en sélectionnant des périodes, ou des moments précis, occultant ainsi des mois entiers, certains moments de la vie.

 

Par exemple, je vois toutes ces photos, où je suis avec tes frères, les week-ends, les vacances. Une famille réunie et joyeuse. Mais une sélection de moments seulement. Je ne vois pas tous les jours où je n’ai pas été là. Ils sont abolis, avec le manque, la séparation, les pleurs du matin. Des jours et des jours envolés.

 

Ma mémoire, aidée par les images, me permet de retrouver ces secrets et même de les éprouver à nouveau.

 

Pourtant, ils se brouillent en partie. Lorsque je regarde les photos un peu anciennes de tes frères, quelque chose m’échappe. Je les trouve toujours aussi beaux, et ma tendresse pour eux ne manque jamais de me serrer le cœur. Mais, ce qui est montré sur ces photos me semble toujours un peu étrange, voire étranger. C’est nous, et en même temps, ce n’est pas nous. Cette jeune femme qui donne un biberon en souriant à un bébé qui se retourne pour voir le photographe, c’est moi. Je peux encore ressentir ce moment, ma vie d’alors. C’est bien moi. Mais en même temps, c’est une autre.

 

Peut-être parce que mon mode de vie et ma façon de faire avec mes petits ont bien changé.

 

Ou plus sûrement, simplement l’effet du temps qui passe. Une façon de voir que je ne suis plus si jeune, et que les choses se perdent.

 

Ou les deux.

 

Ce phénomène n’existe pas avec toi. Aucun mystère dans les photos de toi. Tout est présent.

 

Mais je devine que ça ne va pas durer. Même si les photos te concernant possèdent beaucoup moins de secrets que celles de tes frères, l’étrangéité va y prendre place, pas-à-pas, tout en te montrant toujours aussi délicieuse que tu es.

 

Mes photos ont finalement cette vertu banale, mais imprévue et non voulue, d’être des dépositaires imparfaits de nos vies. En secret.

 

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